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“APRES L’EFFONDREMENT DU REGIME DES DUVALIER , EN 1986 , J’AI DU PRENDRE DISTANCE DE LASCAHOBAS, POUR DES RAISONS PRIVEES; MAIS MON ESPRIT GARDAIT TOUJOURS CHAQUE NUIT LE LIT DE MON ENFANCE...”


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Dans un environnement où tout semble vouloir se dégénérer, la verbosité ou le verbiage l’emporte sur la sincérité de la parole ; celui qui veut s’écarter du vieil ordre établi, des stéréotypes, est vu de plus en plus comme un fou, où en sommes-nous avec la vie, avec notre conscience humaine? Les jeunes d’autrefois, ceux des années qui ont précédé le libertarisme délabré généré par le renversement de la morale, avaient eu le privilège d’apprendre à réfléchir sur les conduites de la vie, contempler la beauté de la fleur au lever du soleil, développer les sens de l’honnêteté et du respect de l’autre. Maintenant, c’est la paresse de l’esprit engendrant le refroidissement du coeur, la médisance, le manque de jugement, la calomnie, le mépris des humbles et des penseurs, les coups de poignard dans le dos. Devant cet état de fait, nous ne devons pas rester les bras croisés, il faut des interrogations.


L ASCAHOBAS INFO, accorde , sans faire de parti pris, une très grande importance aux grandes idées de changements, au respect pour les commentaires et les jugements des autres. Car à côté de cet océan stagnant, nous pensons qu’il existe encore quelque part dans l’inconnu quelques petits ruisseaux purs et limpides. C’est dans cette vision que nous avons sur la table Mr Rousier Nestor, jeune lascahobassien, chercheur en psychologie sociale et en science juridique, membre de notre nouveau comité administratif, pour des réflexions sur différents phénomènes d’ordre social.



SD - Bonsoir Rousier.

RN - Bonsoir Sévère.

SD- Rousier, je suis très content d’être avec toi aujourd’hui, pour réfléchir sur des questions ayant rapport avec la problématique de notre société. Toi et moi, nous sommes congénères qui avons eu la chance de savourer les fruits d’une même époque, celle de nos quinze ans. Peut être, il y a des lascahobassiens qui ne te connaissent pas où ne se souviennent pas de toi. Veux-tu te présenter à eux?

RN - Mon cher, Sévère, c’est aussi un grand honneur pour moi d’être avec toi cet après midi. Avant tout, je dois saluer très cordialement tous mes compatriotes lascahobassiens qui vivent de par le monde et plus particulièrement ceux qui se réjouissent encore de la fraicheur de LASKAWOB . Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Rousier Nestor communément appelé Roro Man ya. Je suis né et j’ai grandi à Lascahobas. Il y a deux grands personnages qui ont marqué mon enfance et qui m’ont appris beaucoup de choses. Il s’agit de Mr Lucien Pierre-Toussaint directeur d’un ancien établissement scolaire: JOSEPH ADEMAS AUGUSTE , où j’ai reçu mes premiers rudiments d’éducation. Ensuite, mes parents ont décidé de me faire inscrire à l’école SAINT ESPRIT où j’ai terminé mes études primaires aux pieds du directeur révérend père Gesner Montès, un personnage qui m’inspire beaucoup d’admiration. Lucien Pierre-Toussaint est un personnage dont j’aime citer le nom. Il est un homme très dynamique, très radical dans ses prises de position, dans sa façon d’agir. Il est aussi un homme honnête, respectueux, révolutionnaire, défenseur des plus faibles très difficile à comprendre. J’ai beaucoup vécu avec lui, et nous sommes devenus deux grands amis. Quant au révérend père Gesner Montès, je peux dire qu’il est un homme plein d’enthousiasme , ami de progrès social. Un grand éducateur qui s’était soucié, non seulement de meubler les esprits, mais encore et surtout de former les coeurs et les consciences. Il a inspiré à la jeunesse de son époque le sens de la fierté , du respect de soi. Son esprit d’initiative est le meilleur trésor qu’il ait pu transmettre à ses différents élèves. Cela est d’autant plus vrai que si l’on regarde de très près, nous pouvons remarquer que la majorité des jeunes qui remettent en question certains points de réflexions que présente le questionnement lascahobassien, est issue de l’école Saint Esprit. Il a su incarner un leadership exceptionnel à Lascahobas. Son histoire est écrite dans la mémoire de tous les lascahobassiens de son époque.

SD - Il a aussi beaucoup contribué, dans un certain sens, au développement du sport à Lascahobas. N’est-ce pas?

RN - Particulièrement au niveau du foot-ball. La cour de l’école Saint Esprit, en dépit de sa dimension, était un véritable champ de jeux. Il y avait toujours eu des championnats entre les classes. C’est encore lui qui avait conçu l’idée d’organiser les compétitions interscolaires qui ont conduit les jeunes à éprouver de très grands sentiments d’appartenance. Il a rempli la fonction de trésorier pour notre ligue de foot-ball des années durant. Je pense que les lascahobassiens actifs de cette époque, se rappellent encore ces moments où “América” était l’entraineur de notre inoubliable sélection représentative avec des stars comme Christophe ; Turenne ; Jean Claude Massénat pour ne citer que ceux-là. La jeunesse avait sous les yeux différents types de modèles en ces temps-là.

SD - Je me souviens que tu n’étais pas un brillant foot-balleur tel que Jean P Honoré ; Jean R Gélin ; Blondel Prévost qui étaient , pour autant que je sache, tes amis les plus proches. A l’époque’ il y avait, outre le sport, des associations culturelles qui excellaient dans notre communauté. Quel est le domaine dans lequel tu as été le plus remarqué?

RN - En ce qui a trait aux activités intellectuelles , culturelles; j’étais un simple membre de l’association juvénile de Lascahobas (AJL) Tu as bien dit , je n’étais pas un brillant foot-balleur , mais j’ai été et je suis encore un très grand passionné de Foot-ball. Le plus grand souvenir que j’aie de mon adolescence n’est autre que la formation d’une très grande équipe de foot-ball ( ISC), Impérial Sportif Club. C’est une idée que j’ai conçue sous la gallerie de Mr Saint Fleur, à la rue Calvaire, en compagnie de Jean Bénito Charles (Boss Bénite) qui fut un personnage très dévoué dans le temps. L’idée faisait son chemin, nombre d’autres jeunes y avaient adhéré. J’ai dû côtoyer la plupart de mes amis en parlant de Jean Patrick Honoré ; Gotty Noisette; Jean Robert Gélin ; Jean Alix Montas... Au début, nous ne pouvions pas nous entendre sur le nom à donner à l’équipe. Certains voulaient l’appeler: “les enfants du Brésil”, moi , finalement je lui ai doté de ce nom ci-dessus. Je crois qu’on peut toujours voir sur certains murs de la ville les graffiti de l’équipe avec la couronne impériale, lesquels graffiti Gotty ; John ; Bénito et moi avions réalisés.

SD -J’ai bien compris que tu as fondé “Impérial” avec la participation de diverses autres jeunes à un moment où vous étiez tous étudiants dépendant de vos parents. Nous savons qu’il y avait toujours eu à Lascahobas de jadis des pères de famille, des personnages qui adoraient encadrer et même supporter financièrement les initiatives des jeunes. Sinon, comment aviez-vous pu répondre aux exigences financières?

RN - Avant de répondre à cette question , je voudrais tout d’abord te parler un tout petit peu du recruitement des joueurs. Je dois aussi signaler que l’équipe de Saint Esprit, avant la fondation de Impérial , venait de remporter le championnat interscolaire avec une équipe très brillante. Je ne voulais pas reproduire les “vert et blanc”- telles étaient les couleurs de l’équipe de Saint Esprit -, à partir de Impérial. Donc, J’ai dû contacter des joueurs de l’école nationale ; de l’école adventiste; de l’école baptiste et c’est ainsi que nous sommes tombés sur Anthony Louissaint (tchòt) un jeune pour qui je manifeste beaucoup de considération ; Arold Ladouceur ; Jean Montas que j’ai pu rencontrer après tant de difficultés. Maintenant, pour répondre à la question, je dirais que oui nous avions dû contacter certains personnages. Moi, au dernier moment, je me suis rendu chez père Gesner Montès pour lui présenter, à la fois, les raisons pour lesquelles j’ai formé le groupe et les inconvénients financiers auxquels nous étions confrontés. Il était assez sage pour me comprendre au point qu’il avait mis à ma disposition les couleurs vert et noir de son ancienne équipe appelée “LE PHARE”. Nous avons disputé nos premières rencontres sous les couleurs de le phare. A un certain moment, je me suis rencontré à une dâme originaire de Savannette connue sous le nom de Lamercie Lefèvre qui m’a appris que son fils qui dirigeait une équipe de foot-ball s’était réfugié aux Etats-unis et qu’elle a gardé chez elle les uniformes, du moins les maillots. Nous nous sommes arrangés et nous avons reçu d’elle une douzaine de maillots de couleurs jaune abricot et noire pour un montant de dix dollars. Ensuite, Bénito, qui fut un tailleur , et moi avions été au marché communal pour nous acheter de la toile noire pour confectionner les culottes. Nous avons pu faire ces dépenses grâce aux recettes des premières rencontres que nous avions disputées sous les couleurs de le Phare. Donc,.je dois te dire aussi que c’est une très longue histoire jalonnée aussi bien de joies que de tritesses.

SD - A regarder de près, on peut toujours déclarer que tu as su initier un véritable leadership à l’avant-garde du groupe?

RN - Je ne peux pas, moi-même, ouvertement déclarer que j’étais le leader. J’aime presenter et decrire les faits de facon tangible pour permettre le jugement, plutot que de leurrer dans le vide. Je peux simplement avouer que j’étais au four et au moulin, je devais être sur mes deux pieds, chaque jour, à cinq heures du matin pour alerter chacun des joueurs, les réveiller pour les séances d’entrainements. Ensuite, j’ai dû, en temps que trésorier doué de sensibilité, penser à secourir certains d’entre nous face à certains inconvénients de la vie quotidienne, tout en respectant la dignité de leur personne. Je respecte tout le monde et les principes que mes parents m’ont inculqués veulent que je continue à respecter tout le monde.

SD - Fondateur doublé d’un trésorier à la direction de Impérial, en as-tu éprouvé un très grand sentiment de fierté?

RN - Oui, en dépit des contretemps qui s’étaient présentés sur mon chemin, j’en suis très fier. Car, j’ai pu prouver ma capacité de travailler pour un groupe sans aucune rémunération, c’est à dire sans avoir été payé. Je suis fier, parce que j’ai gardé de très grands souvenirs. Moi, lorsqu’il s’était agi de planifier notre première rencontre, à l’extérieur, face à l’équipe de Croix-fer au moment où notre caisse était vide, j’étais le premier à prendre la décision de contacter Mme François Guitteau, une personnage que je salue, pour lui présenter le problème de la transportation. Elle avait bien compris la question , au point d’encourager le chauffeur de son mini-bus appelé (Archange Gabriel) à nous conduire à Croix-fer à condition de payer les frais, le lendemain après le match. Et, tout était bien passé entre nous. De plus, au cours de cette même rencontre, l’un de nos joueurs, le feu Wisbert Chochotte, qui occupait la position d’ailier droit, était victime d’un choc très brutal qui a failli lui coûter la vie. J’étais resté. à ses côtés depuis Croix-fer jusqu’à son lit familial pour lui tenir compagnie comme un frêre. Car, je voulais respecter ma responsabilité morale. De plus, l’un de mes camarades les plus sincères, en la personne de Jean Montas a su garder le flambeau de l’équipe allumé jusqu’au début des années 90, je suis encore plus fier.

SD - Je peux ressentir finalement qu’il y avait eu parmi vous des situations un peu conflictuelles. Etait-ce le cas?

RN - La vie même est faite de contradictions. Dans un groupe, il y a très souvent des crises d’intérèts matériel, économique, psychologique, social, politique, culturel et même religieux. Tout le monde, parfois, espère être un leader. Mais, le problème est que le sens de leadership est inné, quelque chose de naturel qu’on ne peut pas prendre d’assaut. En outre, dans la vie, il y a deux types de leaders: le charismatique et le vicarien. Le charismatique est total, profond, enthousiaste, plus spirituel que matériel; tandis que le vicarien est plus opportuniste , traitre très enclin aux complots parce que, le plus souvent, il joue les rôles secondaires. La majorité des leaders charismatiques qui sont trahis, torturés, livrés aux supplices de la pendaison et de la crucifixion, pardonnent encore depuis leur tombeau aux anciens amis vicariens qui font toujours les basses besognes. Oui, parfois, je savais me sentir trahi même découragé, mais cela importe peu. Car, parmi nous il y avait des sensés. Au contraire, j’aurais bien aimé être , en Haiti, à Lascahobas aujourd’hui pour reformer Impérial avec du sang neuf. C’est l’une de mes plus grandes ambitions.

SD - Tes expériences vécues au sein de Impérial sont très informatives. Tu sais que le niveau du foot-ball a Lascahobas dans les annees 70 ; 80 etait tres au dessus de la moyenne, maintenant c’est la secheresse, la nuit sportive; nous sommes descendus tres bas; tandis que l’equipe de Mirebalais, notre ancien rival, vient de remporter la troisieme place du championnat national. Quel espoir pour nous qui avons connu des moments glorieux par le passe?

RN - Bien sûr, nous sommes très en retard par rapport à Mirebalais non seulement dans le contexte du sport, mais aussi dans d’autres domaines de la vie sociale. La communauté mirebalaisienne dans la diaspora a engagé les jeunes évoluant sur le terrain, en développant des relations très étroites avec eux. Nous, autres lascahobassiens, il est vrai que beaucoup d’entre nous pensent toujours à notre village, mais nous sommes restés trop fermés. Nous devons avoir besoin de responsabiliser les jeunes, les familiariser avec nos différents symboles de solidarité, apporter nos supports psychologiques aux différentes festivités sociales: la célébration de la Saint Gabriel, les fêtes de fin d’années, activités culturelles des grandes vacances d’été. En ce qui concerne le sport, nous devons commencer à réfléchir, d’une part à la fondation d’une ligue dont les principaux membres seront des directeurs conséquents de différents établissements scolaires, d’autre part il nous faut un comité sportif dynamique, dans la diaspora, qui soit en mesure de collecter des fonds pour répondre , en partie, aux besoins financiers de la ligue opérant sur le terrain. Un Championnat intrescolaire devrait être l’une des premières initiative de cette institution sportive.

SD - Il y a aussi la question de Jean Abraham, lui , qui nous a dépossédés d’une très grande partie de notre terrain de jeux. Comment as-tu compris ce problème?

RN - Oui! On a eu à me parler de cette histoire, mais je pensais que c’était une rumeur fantaisiste circulant à travers les rues. Mais, je vois que ça commence à prendre un air sérieux. En tout cas, il faut que le maire accompagné du député, du sénateur de la juridiction puisse entamer des dialogues avec Abraham pour résoudre ce litige. Notre terrain fait partie du grand domaine public depuis environs cinquante ans. Comment Jean pourrait-il avoir raison des fonctionnaires , des magistrats de la ville? C’est une question que , moi , je ne peux pas comprendre. Attendons de voir!

SD - Il est bruit que tu étais mobilisé à Lascahobas et que tu avais même l’intention de t’engager dans la lutte pour la 47eme législature. Avais-tu fait campagne pour occuper le haut du podium? Pourquoi as-tu rebroussé chemin?

RN - Après l'effrondrement du régime des Duvalier, en 1986, J'ai dû prendre distance de Lascahobas, Pour des raisons privées; mais mon esprit gardait toujours chaque nuit le lit de mon enfance: lespri pa janm blie chimen kay-li. Mais au retour d’Aristilde de l’exil en 1994, j’étais de temps en temps à Lascahobas justement pour sonder le terrain, analyser les constantes et les variables. Je me suis fait beaucoup de sympathisants dans les zones rurales plus précisément à Pouli , Juampa , Loncy , Peti-fond , Nan casse et Paredon. Je voulais me préparer pour présenter ma candidature à la députation. Je pensais que Lascahobas avait besoin d’une meilleure représentativité au parlement. La population souffrait de trop de mensonges, à l’époque , point de paroles d’honneurs. J’avais révolté un peu contre le maronnage masqué de certains se disant hommes politiques qui une fois élus, abandonnent la population qu’ils avaient comblée de promesses. J’ai fait machine arrière, parce que j’ai mon ami Rubens St Germain qui voulait se présenter, donc il y avait eu un compromis entre nous. Il a participé aux élections malheureusement, il a échoué.

SD - Donc, tu es rentré aux Etats unis quelques années après?

RN - Quelques années après j’ai dû voyager pour les Etats unis. Mais, je caresse toujours le rêve d’être un grand représentant de Lascahobas dans le futur. Maintenant, je salue le succès de Charlemagne Dénaud aux dernières législatives. Un ami que je connais très bien, un homme tranquille, humble qui est plus simple que la simplicité, un député en qui on peut placer sa confiance.

SD - Pour finir, as-tu quelque chose de spécial à dire aux lascahobassiens plus particulièrement au nouveau comité de transition de l’organisation pour le développement de Lascahobas?

RN - Je voudrais encourager tous les lascahobassiens dans la voie du progrès collectif, à être plus solidaires les uns des autres pour atteindre les grands objectifs. Il se peut que la route de la victoire soit piégée, mais soyez persuadés que quand on s’engage dans un combat pour le bien, on est pas seul. Au Nouveau comité provisoire de (ODL), je dirais :Patience, Clairvoyance, Prudence, parfois Tolérance , le développement du modernisme qui doit triompher de l’archaïsme et du traditionnalisme déséchant.

SD - Merci Rousier!

RN - Merci Sévère.

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